vendredi 1 juillet 2011

La Chine : le pays le plus capitaliste du monde ???

Avant-propos : nous empruntons à Andre Gorz sa définition pour expliquer ce qu'est une société capitaliste. Une société est dite capitaliste par l'influence préponderante que la rationalité économique, exprimée par l'exigence de rentabilité, exerce sur les rapports sociaux, l'échelle des valeurs, la vie quotidienne et la politique. C'est-à-dire qu'une société est capitaliste quand l'exigence de rentabilité déborde du domaine purement économique pour contaminer et subordonner toutes les autres sphères de la vie sociale et même de la vie privée. Ainsi, il n'est pas question ici du capitalisme en soi, qui était et qui pourrait peut-être un jour redevenir un bon outil économique, mais bien de l'exigence de rentabilité et de croissance économique comme valeur suprême de la société. 

Tout d'abord, nous vous recommandons vivement l'ouvrage de Mark Leonard, Que pense la Chine ? qui nous a bien aidé à mieux comprendre nos observations.

Aujourd'hui, la société chinoise est le fruit de 3 traditions qui continuent à coexister plus ou moins. Premièrement, il y a la culture confucéenne. Deuxièmement, il y a l'idéologie de lutte pour l'égalité et la justice de l'ère Mao. Enfin, il y a l'idéologie du libre marché et de développement qui s'épanouit depuis 30 ans.

Après la mort de Mao Zedong, la Chine juge et condamne les auteurs (la bande dite "des quatre" dont l'épouse de Mao faisait partie) de la Révolution culturelle qui fut une catastrophe. En 1978, le président Deng Xiaoping amorce l'ouverture de la Chine sur le monde et les réformes visant à instaurer une économie de marché. Deng Xiaoping appelle le capitalisme chinois naissant "l'économie socialiste de marché avec des caractéristiques chinoises". En fait, depuis Deng Xiaoping, la Chine connaît ce que certains appellent une "dictature des économistes" formés en Occident et donc néo-(puis ultra) libéraux. Le pouvoir, c'est-à-dire le Parti "Communiste" Chinois se sert de phrases de Karl Marx et de Mao Zedong (c'est-à-dire de la prose communiste) pour faire passer des réformes et des politiques à la Milton Friedman (néo-libérales). Pendant 30 ans, le modèle de la Chine, c'est les USA. La différence entre les réformes néo-libérales chinoises et celles du reste du monde est surtout de l'ordre du timing. Ailleurs (comme en Europe, surtout en Grèce aujourd'hui), on procède par la thérapie dite "du choc", mais en Chine (à cause des structures politiques, économiques et sociales du pays) on procède par ce que l'on appelle la "permanence de l'expérimentation" qui est un processus de réformes graduelles où des politiques de libre-marché sont établies en parallèles de politiques socialistes à faire disparaître.

Ce qui est intéressant dans le livre de Mark Leonard, c'est que Wang Hui, un économiste chinois, explique que les manifestations de Tiananmen en 1989 rassemblaient deux types de contestataires. D'un côté, il y avait les intellectuels et les étudiants qui réclamaient plus de liberté et la démocratie. D'un autre côté, il y avait des ouvriers et des travailleurs qui protestaient contre les politiques néo-libérales. En Occident, on a parlé uniquement du premier groupe. Pourtant, le second groupe avait des exigences économiques et sociales plus concrètes. Il protestait contre l'inflation et les inégalités qui montaient en flèche. Ces travailleurs voulaient la stabilité des prix, le renforcement de la sécurité sociale, la fin de la corruption galopante et la fin de la spéculation. Certains Chinois considèrent donc Tiananmen comme faisant partie de la résistance mondiale au néo-libéralisme triomphant, comparant les manifestations de Tiananmen aux contestations altermondialistes en Occident ou aux émeutes antiglobalisation qui ont éclaté bien plus tard à Seattle et à Gènes par exemple (on peut aussi les comparer aux manifestations en Grèce et en Espagne aujourd'hui ! - et à celles des producteurs de lait il n'y a pas si longtemps... etc...).

Mais après la répression de Tiananmen, une nouvelle vague de politiques néo-libérales suivit avec un repli nationaliste. Les années '90 en Chine, c'est l'âge d'or pour les néo-libéraux et les capitalistes. Les économistes de ce que l'on appelle en Chine "la nouvelle droite" et les hommes d'affaires sont très influents. Autour du président Jiang Zeming, la "Bande de Shanghaï" donne la priorité à la croissance économique, aux régions côtières plus dynamiques économiquement et aux zones économiques spéciales (que l'on peut appeler zone d'esclavage moderne... inventées par des gens que l'on nomme... "libéraux"). C'est l'âge d'or de l'élitisme et les objectifs sociaux sont mis de côté.

Ainsi aujourd'hui, les grandes villes chinoises sont ultra-modernes, on se croirait aux Etats-Unis. On y voit une société de consommation au top, de la publicité partout (il est impossible d'échapper aux écrans et aux spots publicitaires), un parc automobile moderne et "tape à l'oeil", et un luxe inouï. Les "nouveaux riches" dépensent sans compter et toutes les marques tendances en occident ont pignons sur rue. Dans les campagnes où vit 60 % de la population, ainsi que dans les petites villes, la situation est moins reluisante et le quotidien est à mille lieues du luxe urbain. Dans beaucoup de régions rurales, les conditions de vie se sont même dégradées et ils sont des dizaines de millions à y "survivre" péniblement ou à émigrer vers une zone économique spéciale ou un des territoires à coloniser (comme le Tibet ou le Xinjiang).

Ceci dit, depuis quelques années, maintenant que la croissance chinoise est assurée et considérée comme naturelle, les voix de "la nouvelle gauche" ("nouvelle" parce que acquise à l'économie de marché, mais de "gauche" parce que préoccupée par les injustices sociales, les inégalités croissantes et les questions environnementales) se font entendre au sein du Parti "Communiste" Chinois contre celles de "la nouvelle droite" pour que l'on limite la croissance, que l'on redistribue plus équitablement les richesses, pour que l'on combatte les injustices et les inégalités sociales, pour que l'on fasse reculer la corruption et la spéculation et pour que l'on prenne en compte des énormes dégâts environnementaux causés par la croissance économique. Cette nouvelle gauche ne veut pas que toutes les entreprises soient privatisées, surtout celles qui concernent les biens communs. Contrairement à l'Europe qui semble incapable de se réformer et de limiter le pouvoir des intégristes du libre-marché et de la dérégulation, cette "nouvelle gauche" a le vent en poupe et le président actuel, Hu Jintao, est un de ses partisans. Hu Jintao défend les idées de "société harmonieuse" et de "développement scientifique". Hu Jintao oppose donc une politique "populiste" à la politique "élitiste" de son prédécesseur. En 2005, le XIème "plan quinquennal" du Parti "Communiste" Chinois ne fait plus de la croissance économique sa priorité, et ce pour la première fois depuis 1978. A côté d'elle, se dessine un objectif plus large de "développement" que les dirigeants chinois définissent aujourd'hui par le fait de "placer le peuple en premier", tout en respectant l'environnement naturel. On y parle de pensions, d'indemnités de chômage, d'assurance maladie et de congés de maternité mieux financés. On y parle d'améliorer l'éducation et la santé.

Vu l'histoire des 30 dernières années, nous comprenons mieux pourquoi quand nous nous promenons dans cet Etat dit "communiste" nous avons l'impression de visiter le pays le plus capitaliste et consumériste du monde où règne l'inégalité. Dans l'état actuel, la Chine est le système dont rêve tous les néo-libéraux en Occident et ce en quoi l'Union Européenne se transforme doucement mais sûrement. Mais les aspirations de la nouvelle gauche et ses possibilités de se faire entendre et comprendre par les dirigeants chinois sont intéressantes et pourraient constituer une vraie opportunité pour le peuple chinois. Il reste à voir ce qui sera réellement mis en oeuvre en Chine. Si le Parti réalise son programme, la dictature chinoise pourrait réussir là où la démocratie européenne moribonde échoue lamentablement... ce ne sont pas les Grecs qui vous diront le contraire...


Pour info : depuis ce 1er juillet, en Chine, il y a une baisse d'impôt pour les petits revenus et un renforcement de la sécurité sociale... Tout le contraire de ce que l'on fait en Europe. Si les Chinois entendent bien profiter de l'économie capitaliste, apparrement, eux ne sont pas prêts à se faire manger tout crus par les spéculateurs !!!

Site d'info intéressant : http://chine.aujourdhuilemonde.com/

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