dimanche 23 octobre 2011

Dictature, démocratie et... agriculture

La beauté des campagnes du pays Shan pousse à la réflexion. Et en ce qui concerne l'agriculture, comme tant d'autres domaines, la réflexion n'est pas du luxe par les temps qui courent tant l'idéologie dominante s'impose presque partout en dépit de toute rationalité, au mépris de tous les droits humains et allant d'échecs en échecs... (pour la majorité du moins, sans doute les actionnaires y trouvent-ils leur compte !)

Au Myanmar, les petits agriculteurs font des miracles ! Près des 3/4 de la population vivent encore directement de l'agriculture qui représente une partie importante de l'exportation et du PIB. Mais si nous pensons que les petits agriculteurs font des miracles, c'est parce qu'avec le peu de moyens dont ils disposent, ils produisent beaucoup, varié et de qualité. Le Sri Lanka et la Bangladesh sont même dépendants du riz birman. Et si les politiques gouvernementales ne sont pas toujours adaptées, ni respectueuses des droits des paysans, il faut tout de même constater qu'au Myanmar, la population se nourrit bien et qu'elle serait même la plus grosse mangeuse de riz en Asie avec 20 kg par an et par habitant.

Le propos ici n'est pas d'enjoliver la situation birmane, qui reste peu enviable, ni de justifier l'horrible dictature dont la population est victime. Bien entendu que non ! Le propos ici est de tenter de comprendre pourquoi l'on meurt de faim dans de nombreux pays "démocratiques" alors qu'au Myanmar, pays dirigé par une dictature et fermé sur lui-même, on se nourrit mieux. Comment expliquer que les Shan du Myanmar ont d'aussi belles campagnes, nourrissent leur famille et vendent leurs surplus, alors qu'en Inde voisine, dans la plus grande "démocratie" du monde, les agriculteurs se suicident par dizaines ? Et chez nous, les agriculteurs ne jettent-ils pas leur lait pour protester ? Des dizaines de fermiers ne mettent-ils pas la clef sous le paillasson chaque jour en Europe ? Ce contraste doit nous faire réfléchir au sort de l'agriculture et aux différentes politiques agricoles menées dans les pays démocratiques. Le droit de se nourrir, d'être rémunéré correctement pour un travail et l'entretien de nos campagnes sont des sujets trop importants ! L'agriculture ne doit pas être laissée entre les mains de la finance !

Aujourd'hui, même si la situation est loin d'être parfaite, les agriculteurs shan se nourrissent, entretiennent de merveilleux boccages, font vivre leur famille et communauté, contribuent à la stabilité de la biodiversité de leur environnement. Avec des moyens malheureusement rustiques, ils font vivre une agriculture humaine et familiale, diversifiée et saine, et participent à l'équilibre des biotopes. Ils jouissent d'une forme de souveraineté alimentaire, qui est le droit des populations et des pays de définir leurs propres politiques alimentaires et agricoles adaptées à leur contexte spécifique.

C'est fou parce que, ce que font très bien et seuls les agriculteurs Shan dans leur pauvre pays fermé au monde et dirigé d'une main de fer par une junte militaire complètement irresponsable, c'est précisément ce que tentent d' "inculquer" nombres d' ONG occidentales à de "pauvres paysans" un peu partout dans les pays en "voie de développement". C'est qu'un peu partout dans le monde, ces "pauvres paysans" ont été les victimes d'une mondialisation économique et financière qui a réinstauré les privilèges des plus riches et des plus puissants et détruit les modèles agricoles locaux même quand ils faisaient leurs preuves. Le véhicule de ce fléau est souvent la démocratie occidentale. Cette démocratie, qui ressemble de moins en moins à un libéralisme politique, amène le libéralisme économique, celui qui a tous les aspects et les conséquences des pires dictatures. Des paysans, qui n'avaient donc rien à apprendre de personne, se retrouvent sur le carreau.

Un peu de fiction maintenant.

Au Myanmar, imaginons un futur proche avec, nous l'espérons, une libéralisation politique. Malheureusement, parions, avec plus de chances, sur l'instauration d'une démocratie à l'occidentale imprégnée du néo-libéralisme et de l'idéologie du développement (cette sorte de copier-coller politico-économique comme on en fait depuis des années un peu partout dans le monde). Alors, la démocratie birmane naissante ouvrira la porte et les fenêtres du pays à la dictature des marchés et donc, entre autre, à la financiarisation de l'agriculture locale... la magnifique agriculture des Shan ne connaîtra pas de progrès. On ne supportera pas les petites exploitations face aux grosses entreprises agro-industrielles. On n'assurera pas des prix décents à même de permettre aux paysans Shan de vivre de leur travail. On ne leur permettra pas de protéger leur production agricole des  importations à bas prix ("merdes" toxiques et standarisées). On ne prendra pas des mesures pour garantir à ces petits agriculteurs un accès durable et structurel aux ressources comme l'eau, la terre, les intrants et le crédit. On ne les soutiendra pas avec des infrastructures adaptées, un accès aux nouvelles technologies (vertes !) et de nouveaux débouchés. Non, on fera sûrement avec les paysans Shan comme on a fait avec tous les autres paysans un peu partout dans le monde : on les rendra impuissants !

Des produits moins chers envahiront le pays. Les petits paysans ne pourront plus vivre de leur production face à la concurrence déloyale des grosses entreprises multinationales et étrangères. Rendus trop pauvres, ces agriculteurs perdront, ou vendront leurs parcelles. Les grandes entreprises accapareront les terres. Les paysans Shan deviendront les salariés-esclaves de ces grandes entreprises ou iront rejoindre les villes dans l'espoir de... pour y construire des bidonvilles. Les boccages disparaîtront. Les buissons et les arbres seront arrachés. Il n'y aura plus que d'immenses parcelles ou les actionnaires et Comités d'Administration des grandes compagnies décideront ne plus cultiver que tel type de produit bien qualibré jugé très rentable, à fournir aux chaînes de supermarchés et de fast food occidentaux qui seront en train de s'installer un peu partout dans le pays. Ce sera une catastrophe sociale, culturelle, sanitaire, économique et écologique... le développement sera à l'oeuvre ! Peut-être même que Monsanto viendra faire des affaires ici. Peut-être alors que les agriculteurs Shan se suicideront par dizaines, comme en Inde.

Alors, inouïe ironie et hypocrisie du sort, on verra les ONG des pays les plus puissants et "démocratiques" du  monde venir mettre en place des programmes pour apprendre aux Shan comment cultiver sain, diversifié et en quantité pour nourrir leur famille !

Tout ceci ne sera qu'une mauvaise prédiction si à l'heure de la libéralisation politique du pays, les Birmans ont la détermination de bâtir une démocratie originale et appropriée à leur contexte et culture, et entreprennent la mise sur pied d'une économie rationnelle, originale et adapté à leur société et à leurs besoins.


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